dimanche 5 décembre 2010

Tessellations rancillaquiennes

Tessellations rancillaquiennes


Lors du vernissage de l’exposition «Rancillac » au Matisse Art Galery (4 décembre) et qui a attiré pas mal d’amateurs d’art postmoderne et des néophytes épris de petites mondanités, je ne savais pas pourquoi certaines personnes apparemment averties en la matière s’étaient quelque peu offusquées quand, tentant de cerner l’oeuvre chatoyante offerte à mon regard, ils me virent prononcer le mot Tesselations, comme si c’était un pléonasme réducteur ou une tentation malintentionnée de catalogage nihiliste. Etonné par cette réaction incongrue vis-à-vis d’un thème aussi fécond et porteur, un petit rappel fut nécessaire. La vision avait besoin, d’être mieux ébauchée pour éviter le malentendu et le dialogue de sourds.
Les pavages consistaient à reproduire des éléments décoratifs (ou narratifs pour les peintres initiés comme Rancillac) selon des modes de progression bien définis. Animés par un fervent désir d’abstraction, aux antipodes de toute représentation figurative, les Arabes s’y donnaient à cœur joie. Par ailleurs, ils étaient les premiers à découvrir les 17 modèles de pavages géométriques, aujourd’hui confirmés par d’éminents mathématiciens occidentaux et chercheurs en cristallographie.
Ainsi, malgré la répétitivité graphique ou chromatique, les pavages ne sont pas dénués de beauté. Tout dépend de la finesse qu’on y imprime. Parmi les sommités artistiques qui y avaient forgé leur arme de conviction et séduction, Esher le graveur hollandais se trouve aux avant-postes. Il en fut le plus prolifique et le plus percutant. Il a tiré la sève de son travail colossal en s’inspirant des zelliges du palais Al Hamra de Grenade. Andy Warhol en avait affleuré le rivage sans trop persister. Picasso et d’autres dessinateurs anglo-saxons ou italiens avaient transposé sur du tissu leurs figurines démultipliées à l’infini par tessellation. Dans le domaine des arts plastiques le recours aux tessellations reste très limité malgré ce que l’on vient de citer. Les tessellations les plus naturelles sont les alvéoles des abeilles. En chimie minérale, les extensions algorithmiques en ont donné une variété ahurissante.Fuyant une programmation filmographique assez morne d’un festival de cinéma qui souffle sa 10eme bougie dans la monotonie malgré l’apparat clinquant des artifices, l’exposition de ce vieux routier des cimaises m’avait ravivé les sens. Elle valait le détour. Je n’avais pas pu parler avec l’artiste parce qu’il était occupé. Les tessellations que Rancillac donne à voir et à sentir (pourvu qu’il en approuve la bellissime essence) sont empreintes d’un onirisme enivrant et les motifs floraux reproduits à satiété comme des syllabes d’une ode dédiée à la beauté ont la particularité d’être légèrement non superposables. Leur subtil agencement et la discrète allusion faite à l’art mauresque nous font penser à cette belle strophe hugolienne:
L'Alhambra ! L'Alhambra ! Palais que les génies

Ont doré comme un rêve et rempli d'harmonies,
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants
Où l’on entend la nuit de magiques syllabes

Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfle blanc.

RAZAK
Artiste peintre et écrivain
www.bouzghiba-awards.com
www.razakcinema.com


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