jeudi 28 décembre 2006

PATRICIA PICCININI



PATRICIA PICCININI ENTRE , ART , SCIENCE ET ESOTERISME

Née en 1965 à Freetown (Sierra Leone), Patricia Piccinini arrive en Australie en 1972 avec sa famille . Elle a initialement étudié l’Histoire de l’Economie avant de suivre une formation artistique ( peinture) au « Victorian College of the Arts » . Une fois lauréate (1991) , elle se met à produire et exposer avec une régularité remarquable. Elle utilise une variété de techniques et de médiums de communication (peinture , sculpture , photographie, vidéo et autres installations conçues par digitalisation 3D) . Elle est aidée dans ce travail créatif par des d’autres collaborateurs dont Sam Jinks , un expert expérimenté en modelage plastique et Peter Kennessev , l’homme qui a assuré la production de la majeur partie de son œuvre . De 1991 à 1994 les premières expositions (individuelles et collectives) se limitèrent aux grandes villes australiennes (Melbourne, Sydney, Canberra ) . Mais à partir de 1995 , elle commence à se faire connaître à l’échelle mondiale . Elle expose à Manille (Philippine) et en Nouvelle Zélande .Son fameux TGMP (The Mutant Génome Project) où elle utilise le computer pour créer des hybrides virtuels est la matérialisation d’une idée sur la trans-génétique .« En 2000, explique- t- elle dans l’ exposé qu’elle a donné à Tokyo le 8 décembre 2003 , j’ ai appris que les scientifiques ont réussi à synthétiser l’ADN pour créer le premier organisme synthétique (SO1) qui est une forme de vie créée à partir d’éléments chimiques » . Alors pour répliquer à cette avancée bio-technologique qui n’est pas sans risque, elle crée le (SO2) à base de matériaux plastiques de synthèse.« Je l’ai placé dans une situation domestique » ajoute-elle . L’installation « We are family » entre dans cette perspective ; mais c’est cette exposition particulière qui a fait couler le plus d’encre . Son art pourrait être répertorié , dans sa texture innovante, comme une sorte de « science-art-fiction » que l’on appellerait « génésthétique » (contraction des mots gènes et esthétique ). Après son TGMP elle a enchaîné avec d’autres expositions dont la thématique récurrente concoure vers le même objectif : l’évolution et la révolution génétiques et les questions éthiques qu’elles induisent .En 2003, Piccinini devient une valeur sûre de l’art moderne . Sa cote monte et elle devient l’ambassadrice culturelle de l’Australie .Sa participation à la 50eme Biennale de Venise où elle occupait le pavillon australien lui a fait beaucoup de bien . Son label devient si prisé malgré quelques voix réfractaires qui n’ont pas compris son message . Certes , Piccinini n’est pas la première artiste à utiliser des matériaux de synthèse pour façonner des créatures de fiction , les filmakers de Hollywood en ont fabriqué à profusion et sous des parures horrifiantes ( King Kong, Godzilla…) mais avec elle, on assiste à quelque chose d’inédit ; ce sont des hybrides zoo-humains exposés non par pour faire peur ou plaire mais pour donner à réfléchir . Ainsi , en l’espace d’une dizaine d’années, Patricia Piccinini a brûlé les étapes et parvient à se mesurer aux grandes figures de l’art moderne et post moderne (Botero ,Roy Lichtenstein, Pollock, Bacon , Yves Klein…) .Dans ses débuts elle a passé un temps considérable à dessiner dans les musées d’anatomie . Cette démarche initiatique n’est pas sans rappeler celle du génie de la Renaissance Leonard de Vinci qui nous a légué de précieux dessins d’observation anatomique . Il serait encombrant de parler de toutes les créations portant la griffe Piccinini mais on se limiterait à « We are famiIy » et à la légende qu’elle a suscitée indépendamment de sa volonté . Cette œuvre palpitante , qu’on peut à loisir admirer dans son site web , est à la fois belle à voir et instructive .Ces créatures sont repoussantes et attirantes . Elles sont d’une teneur ambivalente et interrogative puisqu’ elles charrient tout un tourbillon de questionnements sur l’avenir de la race humaine. On y découvre une sensibilité à fleur de peau et une charge discursive d’une portée philosophique et ce , malgré l’aspect ludique qui, à première vue, vous surprend avant de vous plonger dans des pensées profondes. Ce qui fait le succès de cette exposition itinérante qui n’a rencontré qu’enthousiasme et ferveur dans le monde occidental , et qu’aucun pays arabe n’a pu , à ce jour , abriter , c’est l’hyperréalisme sculptural dans lequel elle a moulé ses montreuses sculptures. Une oeuvre bien ciselée bien que le message sous-jacent frôle le paradoxal . Cette duplicité sémantique nous fait remémorer une pensée de Taine : « Sous les moqueries légères, on trouve des idées profondes ; sous l’ironie perpétuelle, on trouve la générosité habituelle ; sous les ruines visibles , on trouve des bâtisses inaperçues. »Ces créatures ayant l’air réel et qui ont fait frissonner plus d’un frileux, n’ont rien de provocateur . Piccinini n’est pas une dadaïste. Ce que cette sculpteuse tente de bâtir sous les ruines de l’après cataclysme génétique post-humain (son thème de prédilection ) est d’une ampleur inédite. Sa créativité se déploie de manière sensationnelle et spectaculaire . Les manipulateurs d’OGM (organismes génétiquement modifiés) sont les plus concernés par son message , car elle leur offre , par anticipation , un avant-goût de ce que serait la société future , si un accident trans-génique se produisait . Dans l’univers des mutants , Piccinini prend et trouve toutes ses aises . Elle incarne une sorte de docteur Frankenstein Neo-Age, puisqu’elle s’amuse à faire de saisissants hybridations de stature bipède ou quadrupède mais leur difformité n’a rien d’offensif . Ce qui réconforte c’est la conservation de ce que notre sociologue Ibn Khaldoun appelle « âssabia » c’est à dire l’instinct familial et tribal sans lequel toute sociabilité devient hasardeuse . La matière synthétique (silicone ) avec laquelle elle a façonné ces objets artistiques et le travail de digitalisation (3D) qui a précédé leur mise en forme nous autorisent de croire en une plasticienne d’un genre scientifique nouveau . Ce n’est pas du Bio-Art mais du Piccinini . Une surface charnelle pleine d’aspérités et de raillures maladroitement marquées , condamnerait ce travail créatif à la réclusion solitaire , à la déchéance culturelle et à l’oubli . Mais l’artiste sait choisir ses collaborateurs . Le résultat est devant nos yeux : un éclatant exemple de perfection .



PICCININI UNE HEROINE MALGRE ELLE
Si les occidentaux ont apprécié les figurines sympathiques de Piccinini et si les japonais y ont jeté un regard amusé mais combien intéressé , certains obscurantistes du golfe d’Arabie en ont fait , par ignorance et ésotérisme, leurs héroïnes , en les impliquant dans une histoire à dormir debout . Pourquoi ? Parce qu’au pays des superstitieux, le charlatan est empereur et la rumeur est son code de loi . Une société défaitiste est plus perméable et vulnérable qu’une société qui croit au pouvoir de la science . Les charlatans ne chôment pas parce que l’analphabétisme et l‘ignorance mêlés à la superstition ont fragilité la gaine de protection des sociétés arabes , tiraillées depuis jadis, entre tradition et modernité . Les uns se prennent pour des gourous de l’apocalypse et n’arrêtent pas de claironner que la fin du monde est imminente , d’autres , endossant le burnous de visionnaire ésotérique , voudraient faire replonger l’humanité dans un monde de bestialité surannée . Quand à ceux qui attendent l’apparition de la race des nains cyniques , ils sont bien servis par ces sornettes débitées à longueur de semaines par les adeptes de la diabolisation tous azimuts qui réduisent tout ce qui est beau à une production ordurière et dégénérée . Dans de tels commérages ressassés à l’infini , l’absurde fleurit . Gare aux esprits scientifiques qui ne croient qu’en ce qu’ils touchent .Ils seraient taxés de mécréants et d’hérétiques, s’ils y opposaient leur objectivité scientifique à leur subjectivité fantaisiste et fantasmagorique . Avec ces gens là, on voit le présent avec un œil du passé et le futur les effraye. On ne croit ni à l‘évolution ni au progrès scientifique . Les phénomènes naturels qui dépassent leur capacité d’assimilation (séisme, inondations…) sont perçus comme des châtiments divins. On l’a vu avec le Tsunami et l’ouragan Katrina. Au lieu de soutenir les familles endeuillées , on leur ajoute un autre malheur plus chagrinant que celui que la nature en furie leur a infligé . Mais la plus drôle de toutes ces histoires bizarres est celle de ces sculptures qui se mettent à marcher par on ne sait quelle potion magique . Cette histoire hilarante de stupidité serait passée inaperçue , si une certaine presse arabophone du golfe ne s’y était pas intéressée , si Internet n’ en a pas été contaminé et si un tabloïd marocain n’ y avait pas ajouté un dièse en lui servant de relais et de haut parleur . De quoi s’agit –il ? Il était une mauvaise fois une sculpteuse australienne nommée Patrica Piccinini qui , intéressée par les biotechnologies et le monde de demain , a créé une œuvre plastique avec une matière synthétique . Les monstrueuses créatures , issues de son imagination fertile ont irrité les esprits fragiles . Au sultanat d’Oman ces formes curieusement façonnées ont été exploitées à des fins ésotériques et asservies dans l ‘occultisme le plus saugrenu et le plus débile . En effet, dans cette histoire rocambolesque , dont les relents nauséabonds se trouvent toujours étalés dans la cyber-toile , on se demande toujours pourquoi et comment la vérité a été déformée pour susciter la compassion des crédules . L’histoire de la fille omanaise qui s’est changée en taupe pour avoir commis un péché ne tient pas debout . Autrement , on aurait vu les experts de l’OMS , les physiologistes et les anatomistes les plus réputés de la planète accourir vers le lieu où ce miracle génétique se serait produit . La lutte contre l’Influenza aviaire ne serait plus une priorité .La thèse de la mutation brusque du matériel génétique manque de cohérence . Une patate peut-elle se muer en une brebis et une souris peut-elle redevenir un chat ? Ces charlatans ont présenté les sculptures de Piccinini comme les images vivantes d’une femme transformée en animal par le châtiment divin . Ce qui est vraisemblable et navrant , c’est qu’il y a des gens de prêche qui s’en mêlent et approuvent l’assertion . Il y’aurait même un prétendu cousin de la « femme –taupe » qui apporterait son témoignage . Le plus étonnant dans cette affaire , c’est de se trouver , une fois la rumeur s’est répandue à la vitesse de l’éclair , face à des individus saints d’esprit et d’un niveau scolaire élevé mais qui ont cru à ces bobards d’écervelés. Des photocopies de cet « article » de fait divers , ont circulé massivement dans les bureaux de l’administration publique marocaine , dans les transports en commun et dans les Kissaria de nos populeuses médinas .Vu la hilarité de cette histoire bizarroïde , et les répercussions néfastes qui en ont résulté nous avons désigné Patricia Piccinini l’artiste de l’année en lui décernant le Prix 2005 de l’humour que nous avons lancé , à la veille du nouvel an, sous le nom de notre personnage humoristique Bouzghiba .Bouzghiba 2005 est un prix de démystification. Ce qui est risible c’est de fabuler fiévreusement sur des choses non risibles . L’ initiateur (votre serviteur ) de ce prix se demande toujours pourquoi les autorités cultuelles des pays, où ce canular s’est répandu et qui semblent préoccupées par l’organisation de festivaloïdes budgétivores , n’ont pas réagi avec vigueur pour rectifier le tir en temps opportun . Manque–on de critiques d’art qui suivent l’actualité artistique au niveau mondial ?L’oeuvre de Piccinini comme tout un chacun peut le vérifier est purement artistique .Elle s’inscrit dans une trajectoire futuriste marquée par un regard inquiet et par des soucis philosophiques majeurs . Mais les nostalgiques de l’Ere de la Pierre Taillée , en ont fait leur héroïne, malgré eux .Piccinini en fut désolée .« Je ne suis ni une experte , ni une scientifique, ni une politicienne ; je suis une artiste qui ai une vision particulière des choses » dit-elle . Dans son site web , elle regrette et déplore qu’on ait volé les images de son œuvre sans sa permission et qu’on ait créé de tels commérages absurdes . Heureusement , il y a encore des gens lucides qui ont dénoncé, par site web interposé, la supercherie . Mieux vaut tard que jamais .

RAZAK

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