2004: Flash-back sur un texte prémonitoire
«Beaucoup d’intellectuels maghrébins pensent que la politique, réduite à de la politicaillerie, ne vaut pas la peine de s’y consacrer. Elle n’est pas faite pour les honnêtes gens. Il y a trop d’intérêts personnels, trop de démagogie et de mensonges pour qu’elle convainque les hommes intègres. La majorité silencieuse, résignée et laxiste, se contente de regarder les minorités privilégiées prendre les commandes. Ce rôle passif de citoyens sans citoyenneté, rend actifs les arrivistes et opportuniste de tout acabit. Le peuple arabe, de façon générale, n’a pas de chance. La démocratie lui sera toujours interdite ou cédée à petite dose quand un concours de circonstance ou des pressions extérieures rendent la concession indispensable. Ce qui vient de se passer en Tunisie est une insulte à l’intelligence des tunisiens. En tant que maghrébin rêvant d’une "Sahoua" d’honneur qui ferait des dirigeants arabes des démocrates dignes de confiance de leur peuple et crédibles vis-à-vis de l’occident, je me sens trahi dans mon rêve. Le cauchemar et le rapt risquent de perdurer. Je pense néanmoins à un homme que je respecte beaucoup pour sa probité politique: Léopold Sédar Senghor. L’homme est poète avant d’être politicien. Il n’a pas voulu manipuler les élections pour assurer une présidence à vie, comme font les petits hommes ivres de pouvoir. Abdou Diouf fait de même, il cède la place à son rival en respectant les règles du jeu. Pourtant, le Sénégal est un pays exposé à toutes les convoitises ethniques et tribales. Mais les aspirations démocratiques semblent au dessus de la mêlée. Des verdicts électoraux à 99,99 % c’est chez les "frères" arabes qu’on les trouve. Jamais en Israël. C’est, à coup sûr, une mascarade. Les intellectuels tunisiens avides de changement seront ulcérés. Comme si le jour du vote (dimanche 24 octobre 2004) aucun électeur n’est tombé malade ou n’a pas été retenu par un empêchement quelconque. On a l’air de voir dans ce pays à gouvernance rigide une sorte de divinisation du «Zaîm». Certes, on reproche à Bush et à Sharon leur arrogance vis-à-vis des palestiniens, mais dans leur pays respectif, jamais les consultations électorales n’ont atteint un tel degré de stupidité, de légèreté et de manque de considération. En France, l’alternance RPR /PS s’est toujours jouée à quelque milliers de voix de différence. Une victoire à 99,99% ferait sortir les Gavroches dans la rue pour rétablir la vérité électorale. Excepté pour les pays de l’ex-bloc communiste (vote à la soviétique) de telles majorités anecdotiques n’ont plus refait surface en Europe. La Communauté Européenne, faisant des acquis démocratiques un critère d’adhésion, est derrière cette métamorphose salutaire. En Turquie, pays européen par la géographie, les efforts de démocratisation entrepris depuis quelques années, n’ont pas été en mesure de lui assurer une entrée franche dans la communauté. Les violations des droits de l’homme défrayaient la chronique dans le pays de l’Atatürk. Les nouveaux dirigeants ont pris conscience qu’une Europe communautaire ça se construit non seulement sur le terrain de l’économie, mais aussi celui des droits humains. Ils ont dû rectifier le tir et puis comme par miracle, l’essor économique accompagne ce changement de politique. Dans quelques années, quand les griefs seront aplanis pour de bon, la Turquie pourrait enfin faire partie de la C.E. Peut-on voir naître à l’instar des européens une communauté au nord de l’Afrique où l’on utilise la même monnaie et circuler librement sans les formalités de visa? A l’heure actuelle, c’est une chimère que de penser à cette union enchanteresse bien que tout prédispose la région à un avenir meilleur. Les divergences semblent plus profondes qu’on le pense. Par ailleurs, un vote à la soviétique n’est pas de nature à homogénéiser le substrat. Le jour où l’on sonnera le glas à ces pratiques moyenâgeuses qui ajoutent à la société maghrébine plus de mal qu’elles n’en retranchent et que l’on verra des scrutins serrés entre les différents postulants, comme ce qui se passe dans les pays à la démocratie assise, alors l’on pourrait croire qu’un pas a été franchi vers la démocratisation. L’on serait convaincu que la jeunesse, ce grand réservoir de potentialités mises en veilleuse, il y a belle lurette, pourrait enfin prendre son destin entre ses mains sans paternalisme ni préjugés réducteurs. On a beau reprocher aux occidentaux d’être des alliés d’Israël , mais l’on oublie que ce dernier est perçu par ces mêmes occidentaux comme le meilleur des mauvais, malgré l’hécatombe qu’il a fait des palestiniens . Le premier ministre est issu des urnes et les décisions sont prises par un système de vote admis par tous. Les partis politiques, fonctionnant en s’appuyant sur une démocratie interne, permettent le renouvellement des élites. L’hécatombe n’est pas décidée que par Sharon. Autrement, il aurait déguerpi au moindre désaveu. Même le "gentil" Pères y a donné son avis démocratiquement. Certes, en Israël il y a une lutte acharnée pour le pouvoir mais les rouages électoraux sont rarement mis en question. Par contre, dans les pays arabes, si l’on est élu par on ne sait quel coup de dé c’est pour y être à vie. Les formations politiques semblent atteintes par la sclérose et la sénilité. Et quiconque critique leur archaïsme, est aussitôt mis au pilori. Plus jeune et plus pertinent que moi tu meurs. Leurs portes sont ouvertes plus à la dissidence qu’aux nouvelles adhésions. D’où leur atrophie pathologique. On fait de l’intolérance et l’exclusion une règle de conduite. Conséquence: prolifération de pseudo partis n’ayant aucun lien avec le peuple d’en bas sauf celui de l’enrichissement sur son dos. Absence de programme dûment pensé et d’alternative mûrement réfléchie. Manque de clarté. Ces disfonctionnements sont la cause de l’effritement de la vie politique dans le monde arabe. C’est devenu sans intérêt et insipide .Comme un malheur n’arrive jamais seul, les journaux édités par ces partis atteints par le pire des gharadismes, sont acculés à charrier les mêmes tares handicapantes : la censure, l’autocensure , la langue de bois, la ficaille … etc. Quand on les écarte du pouvoir ils jouent mal leur rôle de parti d’opposition parce qu’ils n’ont pas l’ancrage sociétal nécessaire. Leur presse est sans lectorat parce que non crédible. Tout cela est dû au manque de démocratie. Certes, il faut séparer le torchon des serviettes, mais l’on remarque que même les partis dits historiques commencent à s’éloigner de leur "marjiîya al hizbiya" et de leur idéal pour lequel des militants sincères ont sacrifié leur vie. Le pragmatisme capitaliste les a rendus moins percutants et moins incisifs. Résumons: C’est l’absence de démocratie qui a fragilisé l’Iraq. (Je suis contre l’invasion anglo-américaine mais il faut avouer aussi que si Saddam était un vrai démocrate l’Iraq serait peut-être épargné). C’est par manque de démocratie que des Rais arabes sont devenus des phallocrates autoritaires transmettant le pouvoir à leur progéniture par filiation héréditaire alors que seul le vote populaire devrait trancher. C’est aussi par manque de démocratie que les postes-clefs de l’administration étatique dans le monde arabe sont offerts aux fils à papa alors qu’un concours de sélection devrait être organisé en bonne et due forme afin de mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. C’est par manque de démocratie que des sanguinaires sont entrés dans l’hémicycle de députation pour légiférer. C’est par manque de démocratie que la justice dans les pays arabes a manqué souvent de justesse. La démocratie (démos: peuple, cratie: pouvoir) c’est l’équité. C’est offrir les mêmes chances à tous les citoyens sans discrimination ni favoritisme. C’est la tolérance et l’acceptation des idées des autres. C’est aussi le respect des minorités, l’indulgence de la majorité et le règne de la clarté. C’est la transparence dans les rouages de gestion et la régularité dans les procédures. C’est la liberté d’expression, de croyance, et de culte. Vivre dans une démocratie c’est se sentir chez soi en sécurité et bien dans sa peau. C’est faire halte aux abus de pouvoir et aux tractations et intimidations liberticides. Dans le monde du travail c’est la mobilité de la grille des salaires et l’amélioration du bien-être. C’est le partage des richesses et la division équitable des bénéfices. Bref, c’est le règne de l’excellence et l’abolissement de la médiocratie. A quand un vote sans bavure?»
RAZAK
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