mercredi 21 février 2007

DARDACHA-14-Ane, je te salue !



DARDACHA-14-Ane, je te salue !
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CHAT ENTRE LE PERSONNAGE BOUZGHIBA ET SON GENITEUR
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Bouzghiba: Après le chagrin, revenons à la vocation primaire qui nous relie tous les deux à savoir l’humour. Vous avez dit que lorsque le PMU français éternue, les parieurs marocains se mouchent le nez. Y’a t-il un lien nasal entre ces deux entités de turf?
Razak: Les paris sont marocains et les courses sont françaises.
Bouzghiba: Cela veut dire que quand le PMU tombe en panne les turfistes marocains en paient les frais?
Razak: Bien vu. Rappelez-vous que lorsque la vache folle est entrée en scène, le monde des courses hippiques est tombé en déliquescence. Le gouvernement français avait décidé, par le biais de son Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, l’interdiction de toutes les exportations d’espèces sensibles et de suspendre pendant quinze jours tous les mouvements d’animaux en France, afin de contenir l’épizootie de fièvre aphteuse. Mais les remous qu’une telle décision a créés se sont répercutés sur le turf au Maroc. Bien que ce dernier dispose de plusieurs hippodromes (Souissi, Anfa...) le transfert provisoire n’a pas eu lieu car on n’a pas les atouts organisationnels de l’hexagone. Pour la petite anecdote, à l’époque de la vache folle, certaines courses n’ont pu avoir lieu qu’après avoir traité les chevaux et leur paille au grésil et au monoxyde de soude. Pour la première fois de leur histoire, les courses sont devenues, par ce fait, des courses chimiques, car les chevaux en compétition pouvaient réagir différemment au contact du produit chimique utilisé. Une petite égratignure pouvait diminuer des performances de tout étalon. Les chevaux de race pure sont très vulnérables. D’où la série des arrivées biscornues qui a déboussolé plus d’un turfiste, que ce soit au Maroc ou en France.
Bouzghiba: Dans le texte humoristique intitulé «Ane, je te salue!» vous citez Varenne et Ourasi ces deux cracks de courses de trot. Voudriez-vous nous égayer l’humeur avec cet écrit drôlement instructif?
Razak: Tenez, je vous le livre dans son paquet car il se croque avec une certaine délectation comme un ice-cream:«L’éminent professeur Jacques Lacan, dont j’étais un fervent lecteur, durant ma période estudiantine, m’avait inculqué le respect de l’âne. Sous sa férule, les psychanalystes les plus réputés de Paris, dédièrent à cet animal singulier une revue appelée savamment: «L’âne». L’ours de la publication est rehaussé par une jolie gravure d’un ânon. Pour jacques Lacan et ses adeptes, le psychanalyste modèle devrait être une sorte d’âne-à-liste, c’est à dire quelqu’un qui liste les morbidités refoulées dans l’inconscient du sujet, afin de déceler la faille pathologique. Il voulait que l’analyste de la psyché ressemble à l’âne productif et non à l’âne de Buridan, indécis et suicidaire. L’âne lacanien est plutôt un âne magnanime, un quadrupède contemplateur. C’est un âne qui a l’instinctive faculté de savoir écouter, et qui ne se hâte jamais de tirer des conclusions rapides qui ne feraient qu’aggraver la situation.L’âne est apprécié pour sa patience et son endurance. Il a «bon dos» quoique pour dissuader les «donkey’s car» à réduire de leur vitesse, on a installé des ralentisseurs de type «dos-d’âne» dans tous les chemins carrossables de la ville. Son squelette n’est pas charpenté pour pouvoir galoper comme le cheval. Il ne vous donne jamais l’impression qu’il est l’âne qui souffre ou qui en sait trop. Contrairement aux bipèdes vaniteux et extravertis, il ne désire pas s’exhiber, ni dans une émission TV qui fait l’éloge du voyeurisme comme Loft-story, ni «paraître» dans Star-Academy version Equidia, qui consacre les étalons courant plus vite que leur ombre. Il est là pour un destin non encore élucidé et pour une odyssée indéchiffrable, non balisée. Depuis plus de cinq mille ans, il accompagne les hommes dans l’abnégation. Les ânes rouges qui hantaient l’ancienne Egypte, n’étaient pas aussi maléfiques qu’on le pensait. Ce mammifère domestique est bien étrange. Sa démarche silencieuse et sa permissivité ont séduit le fondateur de l’Ecole Freudienne de Paris. Observez comment ce quadrupède reconnaissable pas ses longues oreilles affronte les difficultés de la vie. Il est vraiment superbe. Il n’a rien à voir avec les «Jack l’éventreur» et les «serial killers» de la race chevaline qui, à la moindre fausse caresse, réagissent violemment. Un coup de patte bien dosé, ils mettent KO l’adversaire le plus agile et le plus tenace. Je ne vous parlerais pas des chevaux malins qui se laissent tomber sur leur cavalier, après un saut titanesque. Les hippodromes de sports hippiques en ont vu de plus sanglants et dramatiques. Je respecte l’âne pour ce qu’il est, et non pas pour ce qu’il devrait être. S’il s’émancipe, il deviendra dangereux. Si, par on ne sait quel miracle génétique, il se mettait à galoper, il perdrait beaucoup de supporters. Toutes les créatures qui galopent font peur. Seul, le dressage pourrait réduire de leur agressivité. L’âne n’est jamais pressé et il est très timide. Sa gentillesse proverbiale le rend approchable. On n’a jamais entendu parler qu’un âne s’est laissé écrouler sur son propriétaire. Ce serait trop bête. Mais les chevaux de courses qui veulent faire l’âne, ne récoltent qu’injures et réprimandes. Un tocard reste un tocard, parce que c’est un canasson ayant reçu sa tare génétique par filiation héréditaire. Dopé ou mis eu régime amincissant, il reste un vaurien. Mais un crack n’a pas le droit de décevoir. Seuls, Ourasi et Varenne, qui sont des chevaux exceptionnels, se montrèrent adroits et débouleurs. Ils ont remplis leur contrat hippique en vrais «gentlehorses».Les ânes du journalisme vivent plus longtemps. Ceux de la télévision se la coulent douce parce que les sponsors et les publicistes paient la facture. Leur longévité dépend du degré de soumission vis-à-vis du patron suprême de la boite. Les plus cancres s’apprécient dans la flicaille et la délation.Au cinéma, l’âne n’est pas celui qu’on pense. Certains types de ces équidés ont partagé l’affiche avec des acteurs de renommée mondiale. Ils ont eu la faveur des cinéastes dans des films classiques ou comiques. Parfois, il est utilisé comme simple figurant. On l’a vu guider des convois montagnards ou tirer des charrues mexicaines. Bogart l’eut comme «golden-donkey» transportant des pépites d’or dans le film Le Trésor de la Sierra Madre. Les adaptations cinématographiques du chef d’œuvre de Miguel Cervantès Don Quichotte de la Manche, auraient perdu leur charge satirique, si on avait remplacé le serviteur de Sancho Pansa par un cheval de bonne constitution physique. Luis Buñuel filma un âne agonisant. Il a été attaqué par une nuée de guêpes. Il voulait dire à travers ces images criantes de cruauté, que «Lahmia Taghleb Sbâa» (la meute bat le lion). Dans le cinéma d’animation, Shrek reste un joyau qui a émerveillé tous les mômes qui l’ont vu.Sacré par les uns, méprisé par d’autres, l’âne n’arrête pas de départager les bipèdes. Le plus burlesque est Hmar Jeha (l’âne de Jeha) dont les marocains, grands et petits, connaissent par cœur toutes ses aventures hilarantes. Quant à Hmar Sania, appelé aussi «Hmar Naôura» (l’âne de la Noria) est le plus âne de toute l’espèce. Il doit tournoyer sans interruption pour que l’eau soit pompée à faible coût énergétique. Dans le jargon quotidien, on s’en sert comme d’une métaphore. Ainsi, dans l’administration publique un Hmar Naôura est par définition un fonctionnaire exploité à outrance. Il ne revendique pas. Il se soumet. J’en connais un autre «âne-tourneur» qui n’a rien à voir avec les Derviches Tourneurs de Turquie. Celui-là a créé un miracle dans une des campagnes du Maroc profond. Un âne, laissé en pâture, s’approche d’un pylône de haute tension, et comme il y’ avait des courants de fuite, il s’est mis à tournoyer autour du poteau électrique, n’osant se libérer du cercle vicieux où il s’est introduit malencontreusement. Ce quadrupède malchanceux a failli passer pour un illuminé de la race équine. Car le fquih de la commune rurale où ce phénomène s’est produit, n’eut à faire que réciter des versets coraniques, croyant voir le dernier signe de la Kiyama (l’Apocalypse). Les badauds, ignorant tout de l’électrostatique et des courants parasites, crurent avoir affaire à un diable déguisé en âne. Mais en vérité, notre exorciste mal renseigné devait exorciser son ignorance. S’il était un électricien, il aurait compris le manège. L’intervention des techniciens de la régie a mis fin à cette drôle histoire. Il y a aussi l’âne prétentieux comme celui de l’anecdote «Manaydch, Manaydch» (impossible de me relever). Celui-là est un dégonflé puisqu’il voulait se mesurer à plus robuste que lui, mais quand l’heure du déménagement a sonné, il resta cloué au sol, sous un poids qu’il n’a pas pu soulever. Il y’a aussi l’âne pantouflard et l’âne-métronome. Ce dernier connaît les jours de la semaine, en particulier le jour du souk hebdomadaire. Il se lève tôt et fait du bruit pour réveiller son propriétaire. L’âne de contrebande, quand à lui, est un cas spécial. Son circuit suit le tracé frontalier. Il est très naïf. Il suffit d’un «Arra–Zid» (avance), enregistré dans une cassette audio, pour qu’il se mette à trotter de manière téléguidée. Il ne sait pas les dangers qu’il court, en transportant des marchandises prohibées. Mais il y’ a aussi l’âne sympathique, comme celui que le comique égyptien Ismail Yassine a utilisé comme moyen de transport, pour rejoindre son cabinet de vétérinaire. Mais le plus choyé de tous est l’âne randonneur. La ville touristique Mijas (Andalousie) l’a choisi comme emblème. L’âne randonneur fait bonne presse et gagne sa croûte facilement. Il reçoit rarement des coups, puisqu’il vit au milieu de touristes et il est souvent photographié. On apprécie sa sobriété, mais on fait semblant de ne rien entendre quand il se met à braire.L’âne reste unique en son genre. L’espèce a résisté à la mécanisation. Sa capacité de synthèse métabolique est étonnante (l'âne tire plus d'énergie de la paille qu'un cheval, disent les spécialistes). Cet animal sera toujours utile. Son fumier est excellent pour fertiliser les terres arables. Le tiers-monde ne pourrait jamais se passer de ses services. Au Tibet, il est indispensable pour escalader le Toit du Monde. En Amérique latine, on le voit sillonner la Cordillère des Andes. Pourtant on ne l’a jamais pris tel qu’il est. On est irrespectueux envers ce souffre-douleur. Les fables et les histoires drôles où on le cite comme témoin ou comme acteur potentiel sont indénombrables. Les éditeurs les plus réputés lui ont consacré des monographies ou publié des contes pour enfants: Des Mémoires d'un âne de la comtesse de Ségur, Voyage avec un âne dans les Cévennes de R.L. Stevenson, Mon âne et moi de Juan Ràmon Jirez (Prix Nobel de littérature en 1956), L'âne: histoire, mythe et réalité, Avoir un âne chez soi, Mémoire des ânes et des mulets, Le livre de l’âne, Bien connaître les ânes et les mulets… Cet animal étonnant occupe une place prépondérante dans l’imaginaire de l’homme. En France, l'association «Réunir au pays» organise annuellement sur l'hippodrome de Pompadour «La Journée Nationale de l'âne». En peinture, les orientalistes l’ont immortalisé dans des toiles aux couleurs chatoyantes. L’âne peintre a pu réaliser une toile avec sa queue transformée en pinceau. Les expressions qui font allusion, soit à sa sobriété, soit à sa désinvolture, foisonnement dans toutes les langues de la race humaine. Avec ses yeux attentifs, il est plus humble que le taureau, mais moins ringard et moins rancunier que le chameau. Les expressions et les citations comportant le mot âne sont indénombrables: «Têtu comme un âne», «Du coq-à-l’âne», «Ce n'est pas le singe ou le tigre que je crains dans l'homme, mais l'âne» (William Temple). «Moins vif, moins valeureux, moins beau que le cheval, l'âne est son suppléant et non pas son rival. (Abée Delille), «La nuit est destinée au sommeil, le jour au repos et l'âne au travail» (proverbe afghan). «Ce n'est pas parce qu'on est entouré d'ânes qu'on doit se mettre à braire» (Jean Luc Poma). «Compte plutôt sur ton âne que sur le cheval de ton voisin» (proverbe auvergnat). «La peinture abstraite fait très souvent braire les ânes, se pâmer les poules et bâiller les singes» (René Floriot) «Un âne qui porte sa charge vaut mieux qu'un lion qui dévore les hommes» (proverbe oriental) «Des moutons dirigés par un lion sont plus redoutables que des lions dirigés par un âne» (Douglas Mac Arthur). On se limite à ce petit paquet, mais observons comment les deux dernières citations sont contradictoires. L’une est élogieuse l’autre est d’un ton rabaissant. Mais que savons-nous de cet animal mystérieux? L’on espère qu’un jour les organisateurs du festival du film animalier consacrent une édition spéciale (appuyée par des séminaires) à cet animal fabuleux corvéable à merci et qui a suivi l‘homme dans toutes ses aventures terrestres, avant de se projeter dans un univers féerique où les licornes côtoient les chevaux ailés tels Pégase et Al Borak. J’aimerais clore ce petit essai consacré à l’âne avec ces mots pathétiques signés Drumont Édouard: «Ane, je te salue, éternel porteur de bât, Ane utile, Ane patient, Ane toujours raillé, Ane à l'échine meurtrie, Ane aux longues oreilles, Ane, je te salue…»




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