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CHAT ENTRE LE PERSONNAGE BOUZGHIBA ET SON GENITEUR
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Bouzghiba: L’histoire du blue-jean est fantastique. Vous vous y êtes intéressé pourquoi?
Razak: Parce que le blue-jean c’est le vêtement du confort, de l’élégance, de la jeunesse et de la sobriété. Hommes et femmes le portent parce qu’ils s’y sentent bien. Pour ce qui me concerne, je le porte depuis des décennies et je crois que même en atteignant l’âge de 90 ans, pourvu que le destin me gratifie de cette longévité, je m’en vêtirais.
Bouzghiba: Beaucoup de gens portent du jeans mais rares sont ceux qui connaissent son histoire fabuleuse. Veuillez nous en rappeler les principaux chapitres?
Razak: Le blue-jean est plus ancien qu'on ne le pense. Son histoire remonte au Moyen Age. Conçu initialement pour servir d’uniforme de travail, (marins, mineurs, ouvriers agricoles…) le jeans devient aussitôt le vêtement mass people. Quand la mode s’en empare, il devient un vêtement de luxe. D’un siècle à l’autre, il changea de signifiance. D’origine européenne, le jeans était parti à la conquête de l’ouest, tel un pionnier attiré par l’«Eldorado américain» (the american paradise). Il retourne au bercail sous une forme beaucoup plus stylisée. Sur-teint, délavé, usé, enduit, frotté avec des pierres volcaniques, le jeans a subi des traitements de plus en plus complexes. Alors revoyons les principales escales de son épopée épique.C’est dans la ville de GENES (Genova, Italie) que le jeans trouve ses racines. En effet, le mot jeans serait un anglicisme et une contraction du mot GENOVESE, épithète attesté dès le XVIème siècle dans le OLD ENGLISH DICTIONNARY. A Gênes, les marins couvraient leur corps avec cette étoffe inusable et infroissable. Entre le français et l’anglais le mot a pris des formes successives (gene, jene, jeyne, jayne, jane). Il désignait d’abord la toile dont était fait le vêtement puis le vêtement lui même. En France, la jeanerie désignait le lieu où l’on vendait des jeans et le jeaneur est celui qui fabrique le jean. Sa coloration bleue est due à un colorant naturel appelé indigo .Il est extrait d’une plante appelée l’indigoferia (l’indigotier). Plus tard, la chimie synthétique parvient à trouver la formule (C16H10N2O2) grâce aux travaux du chercheur Adolph Von Bayer. Or, en parlant de jeans, il est inévitable d’évoquer le denim, c'est-à-dire la serge de Nîmes. A une certaine époque, la ville française Nîmes fut l'un des plus actifs centres de production de textile en Europe. La toile de Nîmes, qu’allaient enfiler les pionniers du Far West et les cow-boys, non sans satisfaction, était tissée dans des débris de coton. La serge de Nîmes était utilisée pour la fabrication des voiles de navires et des bâches de chariots de marchandises. Par commodité langagière, on appela ce jeans à bretelle un denim. Les techniques de délavage à l'eau de javel ne sont apparues que tardivement. Le stone washed (lavage à la pierre) ce procédé de décoloration s'effectuant en utilisant des pierres ponces (provenant d’un volcan éteint en Turquie) permet de gommer la couleur du jean. C’est à Nîmes que le "bleu de travail" a vu le jour pour la première fois. Le tissu classique du jeans est commercialisé en Europe, sous l'appellation "serge de Nîmes". A cette époque, un denim sergé signifiait (et signifie toujours) un jeans de qualité.En 1849, San Francisco n'était jusqu'alors qu'une petite bourgade sous-développée. L’ex-colonie espagnole connut un essor prodigieux avec la découverte de l’or. Le jeans connut à son tour un destin aurifère grâce au génie de Levi Strauss, un émigré allemand issu de Bavière. Ce personnage, né le 26 février 1829 à Buttenheim, eut l’intelligence instinctive de confectionner un pantalon confortable et solide à partir de cette toile grossière.«Les pionniers de San Francisco, sans doute à cause de la présence de marins génois dans le port, ont bien vite fait la relation et créé l'amalgame, écrit un historien. Les premiers vêtements ressemblaient étonnamment à ceux des marins, d'où la rapide utilisation du terme jean pour les désigner».Le premier "jean" LEVI'S était coupé dans cette toile à fortes trames, pour satisfaire la demande d’un pionnier qui réclamait un pantalon adapté aux travaux de mine. La société LEVI STRAUSS and Co. prospère très vite et aucune concurrence ne semble de taille à lutter contre son monopole. Ces jeans primitifs n’avaient pas de poches arrière, ni passants pour la ceinture. C’était des jeans à bretelles. Vers 1860, Levi reçoit des étoffes de l'authentique Serge de Nîmes de couleur Indigo. Cela ajoutait un dièse à la réputation de sa manufacture.L’épopée du blue-jean est favorisée par trois facteur: Primo: la découverte de l’or comme il est signalé auparavant. Deusio: la construction des premières lignes de fer .Tercio: le cinéma. Tout le monde voulait avoir du jeans aux jambes. Mais un jeans sans rivets de cuivre, c’est comme un texte sans ponctuation. En 1870, Jacob Davis, tailleur de profession, prend contact avec Lévi Strauss pour améliorer la qualité du produit. C’est à Davis que revient l’idée de riveter les angles des poches pour les rendre plus solides. Un mineur appelé Alkali Ike, se plaignait de la fragilité de ses poches sous le poids des pépites d'or. L'astucieux tailleur trouva la solution idoine. Les deux associés déposèrent alors une patente pour les nouveaux "overall's rivetés". En 1886 apparaît la première "griffe" LEVI'S sous forme d’une étiquette de cuir représentant deux chevaux tentant d'écarteler un jeans. Bientôt, ils seront suivis par les deux autres «grands» du jeans, Lee et Wrangler qui déposèrent à leur tour leur marque. Le fameux jeans reste cantonné aux États Unis jusqu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L’Europe lui ouvre les portes de la mondialisation.
Bouzghiba: Que dire du come-back européen?
Razak: Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les américains entrèrent en guerre contre les nazis et le jeans faisait partie de l'équipement de base de tout soldat américain. C'est à cette époque que le jeans fait son come-back en Europe, avec en sus, du cuivre aux coins stratégiques du vêtement. Cependant, les clivages idéologiques apparus après la guerre, entre le capitalisme et le communisme, rendirent la vie dure au blue-jean. Les communistes interdisaient son utilisation car le jeans était perçu par les idéologues du stalinisme et les agit-prop, comme une dégénérescence du capitalisme. Mais malgré l’intransigeance du système bolchevique, les jeans entraient dans le pays clandestinement. Avec la Perestroïka, le jeans commence enfin à concilier l’inconciliable.Après la chute du mur de Berlin et l’effritement du bloc communiste, le blue-jean reprend son odyssée. Il devient un vêtement transculturel et transcontinental sans autres attributs que le confort et l'élégance. Le label a conquis la planète. Le marché du jeans est un des plus prospères. Plus de 3,5 milliards de jeans sont vendus à travers le monde et la marque Levi's est commercialisée dans plus de 100 pays dont la Chine qui a été jusqu’à tout récemment si hermétique aux produits occidentaux en général et américains en particulier. Les stars de cinéma et du showbiz apprécient les jeans. James Dean, Marlon Brando et Steve McQueen furent les premiers à populariser le blue-jean. Elvis Presley, Jean Gabin, Leo Ferré, Bob Dylan, Clint Eastwood portaient fréquemment des jeans. Les chefs d’Etat endimanchés ou en vacance, les princes et les notabilités s’y s’entaient à l’aise. Les chanteurs français Johnny Hallyday et Renaud ont, non seulement enfilé du jeans, mais ils en ont fait allusion dans plusieurs de leurs chansons. De refrain en refrain, transparaissent les signes in-dissimulables de virilité. Ainsi Renaud dans «Laisse béton» disait avec un accent argotique: «J'étais tranquille, J'étais pénard, Je réparais ma mobylette, Le type a surgi sur l'boul'vard, Sur sa grosse moto super chouette , S'est arrêté l'long du trottoir. Et m'a regardé d'un air bête: «T'as l'même blue-jean Que James Dean. T'arrêtes ta frime. J'parie qu' c'est un vrai Lévis Strauss».
Bouzghiba: Johnny Hallyday interprétant Bye-bye baby prend la parure d’un prédicateur de mode.
Razak: Je vois que vous êtes un amateur de rock’n’roll. Johnny disait dans cette chanson: « La mode: Hé bien pour moi cet été la mode ce sera un pantalon, en l'occurrence un blue-jean. Parce que c'est la tenue idéale pour voyager, pour travailler, pour se déplacer, pour être à l'aise.»
Bouzghiba: Le blue-jean chez les texans est très ornementé et très brodé.
Razak: Chez les anglo-saxons le blue-jean servait surtout à marquer une appartenance sociale et souligner une tendance. Chez les hippies par exemple, le jeans était le vêtement roi. Les soixante-huitards en faisaient une toile body art. Les dessins antimilitaristes fleurissaient sur les pantalons et les vestes en blue-jean. Bruce Springsteen fait d'un LEVI'S 501 le fleuron de la pochette du légendaire "Born in U.S.A.", et David Bowie lui dédie le fameux "Blue Jean". Ils ne sont pas les seuls à apprécier la sobriété de cette toile qui a tout sauf la lisseur de la soie. Souvenez –vous qu’à une certaine époque la «gatifa» anglaise (tissu de coton à trame ondulée et parallèle) tenta de détrôner le jeans mais en vain. Elle n’en récolta que déboires et vicissitudes.
Bouzghiba: Que dire comme mot da la faim?
Razak: Etre à l’aise, voilà le mot-clef. Voilà le secret du succès phénoménal du blue-jean. Pourvu que l’on tombe sur un vrai Levi’s riveté à l’ancienne. Car la contrefaçon continue de faire des siennes en créant un monde parallèle. Actuellement, il y a une multitude de jeans. Les uns allant dans le sillage des premiers jeaneurs, les autres préférant les sentiers non battus avec de la fantaisie en prime. Mais la nostalgie pour les classiques du blue-jean grandit avec le temps. Il est amusant de remarquer que les classiques sont vendus aux enchères comme des raretés dont rêvent les collectionneurs. En effet, en 1998, un jeans original Levi's de 1880 est racheté lors d'une vente aux enchères pour près de 47000 US dollars par Levi's le fabricant initial. En 1999, Christie's NYC proposait trois paires de jeans de Marilyn Monroe et le styliste américain Tommy Hilfiger les obtint pour 37000 US dollars. Britney Spears eut le privilège de s’offrir l’une de ces trois mythiques paires.Au lieu de penser à sa fin, il nous donne de la faim. Qui n’a pas enfilé un «seroual daingri» dans son adolescence ou dans sa vie d’adulte ? Le jeans est vraiment un vêtement à part. Il a épongé la sueur de milliers d’aventuriers et de travailleurs d’usine. Il a servi d’accoutrement pour anars et protestataires. Il a séduit les femmes au galbe bien tracé et sa longévité semble s’inscrire dans l’intemporel, puisque les couturiers du monde entier sentent toujours son pouvoir attractif?
Bouzghiba: Les puristes raffolent des vrais Levi’s mais comment reconnaître un vrai denim sergé?
Razak: D’abord il faut examiner le logo, les rivets et surtout le fameux «E» imprimé sur une petite bande de tissu rouge. Le vrai Levi’s se vend dans des lieux patentés. Il y a des jeans pour hommes et pour femmes. Les jeans pour filles se différencient par leur braguette et les coutures sont plus prononcées. La coupe est ajustée à la taille. La mode est allée jusqu’à imposer des modèles froissés, troués ou déchirés au niveau du genou.
Bouzghiba: A Casablanca on fabrique de bons jeans n’est-ce pas?
Razak: Au Maghreb, on fabrique des jeans de toutes sortes .Ceux qui sont destinés à l’exportation sont plus travaillés. En Tunisie, le jean est fabriqué à Ras Jebel. La toile provient de l’usine italdenim de Milan. Elle est teinte à l’indigo à Francfort en Allemagne. La matière première (le coton) est béninoise. Les jeans de Ras Jebel sont plus proches du standard et sont largement commercialisés en Europe. Ceux de Casablanca sont de qualité contrastée, et l’on constate que les bons jeans casablancais se retrouvent ailleurs que dans les magasins des grossistes d’«El Koreâ» qui approvisionnent les autres villes du Royaume. Un jour j'en ferais un reportage ou un film documentaire si les circonstances me le permettaient.
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