jeudi 8 février 2007

DARDACHA-7-L’artiste et la société

DARDACHA -7 : L’ artiste et la société
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CHAT ENTRE LE PERSONNAGE BOUZGHIBA ET SON GENITEUR
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Bouzghiba : Aux années 90, vous avez publié un article intitulé : l’artiste et la société. Pouvez- vous nous en rappeler les grandes lignes pour briser la monotonie ?
Razak : L’artiste prend soin de tout le monde, mais personne ne prend soin de lui. L’artiste pense à tout le monde, mais personne ne pense à lui. Une inadéquation de taille, si l’on considère son rôle dans la société dite civile et civilisée .Comme une tige d’encens, l’artiste se consume. Comme un morceau d’orange, on consomme le jus et on l’abandonne. Curieux sort pour quelqu’un qui prend en charge sentimentalement tous les sorts. Placés sur orbite cosmo-magique, les artistes sont comme dirait Leo Ferré des « gens d’ailleurs ». Un rien les agace et ils sont difficiles à asservir. Un demi-rien les met en colère et l’injustice les pousse à réagir. Ils sont si près quand quelque chose vous dérange ou vous insécurise, et ils sont si lointains quand vous êtes aux antipodes de ce à quoi ils croient et se mobilisent. Vouée à l’errance tactile, leur sensibilité plane au dessus de tout. Princes ou mendiants , blancs ou noirs, grands ou petits, hommes ou femmes, tout le monde trouve « son artiste » qui répond à ses étreintes, jugule sa soif et qui fait vibrer ses cordes sensibles. Hugo a donné la parole aux pauvres et aux déshérités. Le peintre David a glorifié Bonaparte. Abou Naouass a immortalisé le nom d’une servante : Jinane. De Vinci a déifié Mona Lisa la Joconde. Des artistes qui rendent hommage aux indiens d’Amérique, chassés de leurs territoires. Des artistes qui se battent pour la cause des peuples noirs, victimes de l’Apartheid, ou des palestiniens privés de leur terre. Des artistes qui soulagent les arméniens, les musulmans bosniaques et tchétchènes. Des artistes qui s’élèvent contre le racisme , contre le sida , contre la famine , contre l’arbitraire des tyrans, contre la désertification, contre l’exploitation des enfants .Des artistes qui demandent miséricorde . Des artistes engagés pour la paix entre les peuples, pour la prospérité de tout l’univers, bref, tous ces gens bien pensants ont mis leur don divin au service de l’humain. Mais qu’a fait la communauté pour leur bien être, pour leur assurer un minimum vital en deçà duquel c’est l’indécence. La plupart de ces créateurs ultra humanisés périssent dans le désarroi et l’oubli. Des poètes et poétesses chassés de leur demeure pour ne pas avoir trouvé de quoi payer le loyer. Des peintres morts dans le misère, alors que les spéculateurs, comme des charognards, s’enrichissent sur leur dos. Des chanteurs et des comédiens à deux doigts de la mendicité, des artistes malades, abandonnés à leur sort, malgré le chapelet des SOS lancés tous azimuts .Des écrivains et des philosophes en perdition.
Il est temps de revoir certaines valeurs et dogmes .Sinon un grand miroir de vérité risque de se briser à jamais. Une société sans artistes -qu’ à Dieu ne plais- ce sera l’enfer .Adieu le civisme et bonjour les dégâts. Une société qui fait outrageusement fi de ces belles choses finira par faire négation d’elle-même : c'est-à-dire l’abîme.
Le Maroc est un beau pays mais il a besoin de véritables esthètes pour mettre en valeur ses trésors innombrables.
Bouzghiba: Parlez-nous des trésors de l’art ?
Razak:
L’homme, disait Diderot, ne vit ni dans le tragique, ni dans le comique, mais dans des situations intermédiaires qu’on peut appeler «sérieuses». Partant de cette idée, on peut se demander, sans nulle autre intention que de remuer les méninges usées: quelle est la situation sérieuse des citoyens marocains. Que cherchent-ils, si ce n’est qu’avoir les moyens de subsistance et de stabilité. Un logement décent, une nourriture saine et «parachèvement de la foi» comme disent les gardiens de la tradition, dans le mariage. Or, les complications de la vie moderne ont rendu hypothétique toutes ces bonnes choses, nécessaires à l’épanouissement de la société. C’est dire qu’en phase de privation, le tragique et le comique, se trouvent logés à la même enseigne. Ainsi tout le plaisir indicible que l’art tente d’apporter aux gens, se trouve dilué dans la réalité macabre de tous les jours. Les marocains sont des jouisseurs par essence, mais la crise économique les prive de faire la fête. Les artistes en subissent, de manière directe, les conséquences. Un air de deuil plane sur les différentes agoras de l’expression artistique. Les lamentations fusent de toutes parts. Priorité aux choses vitales, disent les nombrilistes. Du coup, les artistes se retrouvent au chômage. C’est une erreur monumentale que de croire que l’art est inutile. Contrairement à ce que pensent les unijambistes, il pourrait générer des ressources économiques inépuisables, si les décideurs se montraient perméables aux idées novatrices en élargissant l’éventail des libertés de croire, d’action et de communication. De même, les artistes doivent être à la hauteur, afin de hisser l’art au rang de moteur économique et de levier du progrès. Il y’ a des nations qui nous ont devancé sur ce chemin. Les Etats-Unis d’Amérique et la France sont de bons exemples. Le premier pays tire des bénéfices incommensurables de son cinéma et du show-biz, le second possède l’une des plus grandes et prestigieuses collections de peinture aux prix inimaginables. On a fait une bonne affaire dans la spéculation artistique. Ces deux exemples sont à méditer.

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