mercredi 14 février 2007

DARDACHA -9-René Magritte l'illusionniste


DARDACHA-9-René Magritte l'illusionniste

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CHAT ENTRE LE PERSONNAGE BOUZGHIBA ET SON GENITEUR

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Bouzghiba : Vous appréciez l’œuvre de René Magritte . Par quoi se démarquait cet artiste d’origine belge ?
Razak : René Magritte était un des peintres remarquables du surréalisme. Il était moins provocateur que Salvador Dali , mais beaucoup plus lyrique que Francis Picabia et René Crevel . Il s’écartait quelque peu de l’orthodoxie bretonnienne qui exigeait de l’automatisme instinctif dans l’acte de peindre .
Bouzghiba : Magritte a dit : "L'art de peindre, tel que je le conçois représente des objets, de telle manière qu'ils résistent aux interprétations habituelles". Est-ce que l’objet magrittien est à ce point insaisissable ?
Razak : Les poètes et les écrivains surréalistes , grâce aux textes automatiques , avaient pu créer de surprenantes œuvres marquées du sceau de l’intuitif. Paul Eluard en avait improvisé de plus subtiles .Les associations de mots déchaînés échappant à tout contrôle cérébral, ont imprégné le contenu de nombreux textes d’une beauté originale. Magritte était un illusionniste et un métaphoriste de la peinture. La publicité post- moderniste a trouvé dans son œuvre une source d’inspiration intarissable. Une colombe aux ailes déployées qui se détache du ciel, des chevalets semblent se tenir verticalement comme par lévitation, un train qui s’échappe d’une cheminée , des nuages se laissant toucher par un peigne géantesque, une pomme surdimensionnée emprisonnée dans une chambre. Tout cela agencé pour provoquer notre crédulité perceptionniste. Et pour pousser la contrariété à son paroxysme, il nous dessine une pipe avec la mention paradoxale: « ceci n'est pas une pipe » .Evidemment le peintre avait raison car cette pipe que nous voyons n’est qu’une illustration. Pour qu’elle soit réellement une pipe il faudrait qu’elle dégage de la fumée et pour qu’elle dégage de la fumée il faudrait qu’il y ait du tabac et une allumette. Il nous avait piégé par un subterfuge de sémiologie linguistique enrobée dans une conception purement plasticienne. Magritte avait le lyrisme d’un Joan Miro et la transfiguration excessive de Salvador Dali.
Bouzghiba : Comment devient-on peintre surréaliste ?
Razak: Ceux qui ont créé le mouvement historique et qui gravitaient autour de cet élément catalyseur qu’est André Breton savaient à quoi s'en tenir . Ce dernier a expliqué les fondements du surréalisme dans ses manifestes . De manière générale, les peintres n’accèdent au surréalisme que par les trois voies précisées dans ces manifestes à savoir : le rêve, l’automatisme et la provocation. Ainsi s’apparentant à des clichés pris dans un autre monde, les tableaux de René Magritte sont dûment prémédités. Mais y voit-on réellement ce qu’on croit voir ? Y a-il des sous-tendus et sous-entendus dans la peinture de Magritte ? Le peintre lui-même répond par la négative : « Il n'y a pas de sous-entendu dans ma peinture, malgré la confusion qui prête à ma peinture un sens symbolique ». Mais aux yeux des analystes le peintre peut se tromper de jugement en essayant de commenter son travail. Tout dépend de l’angle de vue sous lequel on capte une vue d’ensemble. C’est comme si dans sa grammaire personnelle, il nous proposait une dissertation avec un foisonnement de synonymes dont la moitié est au figuré et nous donnait à lire des compositions pleines de métaphores.
Bouzghiba : Par ironie , vous avez toujours utilisé l’association de mots art-plat-steak à la place des arts plastiques. Qu’en est-il avec Magritte?
Razak : Avec ce créateur c’est du vrai art. L’inventivité y est apparente. L’art-plat-steak concerne les carte-postalistes qui font de l’art un boulot alimentaire .
Bouzghiba : Qui est Magritte ?
Razak : Il est né le 21 novembre 1898 à Lessines, dans le Hainaut, d'un père tailleur et d'une mère modiste qui se suicidera par noyade quand il avait 14 ans, Magritte n’était pas un autodidacte. Il étudia la peinture à l’académie des Beaux-arts de Bruxelles entre 1916 et 1918. Pour ce belge qui a toujours considéré la peinture comme un moyen, non une fin , voir un tableau dans sa vérité, c'est non pas chercher cette vérité au-delà de ce qui est montré. Georges Roque le critique d’art qui a jaugé son œuvre , souligne cette quête transcendantale « qui renverrait à une signification symbolique ou allégorique, mais qui pourrait bien se trouver confrontée à l'inquiétante étrangeté qui émane des objets les plus familiers, dès lors qu'on les prend en compte pour eux-mêmes, et non pour ce à quoi ils renverraient »
Bouzghiba : Magritte a dit aussi :"Un peintre ne peint pas pour mettre de la couleur sur une toile, comme un poète n'écrit pas pour mettre des mots sur une feuille". De quel peintre voulait –il parler ?
Razak: Ce que j’apprécie chez Magritte c’est la poésie discrète et la dimension novatrice de son œuvre. Quand j’avais entamé l’étude du surréalisme j’avais été surpris par la vastitude et l’étrangeté du monde qu’il peint. Il a réussi parce qu’il a usé de ce qu’on appelle dans la tradition culturelle arabe « Assahl al Moumtaniâ » (l’aisé dont on n’use point ) .Aussi il le faisait sans tintamarre et avec conviction philosophique. A en juger par cet extrait fort éloquent:
« Le peintre peut penser avec des images s'il n'est pas soumis aux préjugés qui le font se considérer comme un artiste qui "exprime", "représente" ou "symbolise" des idées, des sentiments ou des sensations. La pensée d'un peintre s'identifie à des images lorsque l'inspiration le débarrasse de ces préjugés. Elle ne comprend plus alors que des aspects apparents offerts par le monde : ciels, personnes, arbres, solides, inscriptions, etc., réunis dans un ordre qui ne nous est pas indifférent. Une telle pensée est susceptible de devenir visible par la peinture et son sens nous est caché tout autant que celui du monde. Le sens est étranger aux interprétations que l'on en fait.
Bouzghiba: Ce peintre était-il un dialecticien, on dirait un penseur hégélien converti aux arts plastiques ?
Razak: Magritte aimait formuler des expressions qui charment l’esprit . Je vous en rappelle cette autre citation concernant sa propre expérience : « Mes tableaux ont été conçus pour être des signes matériels de la liberté de la pensée. C'est pour cette raison qu'ils sont des images sensibles qui ne déméritent pas du Sens. »

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