vendredi 23 février 2007

DARDACHA-15-Yves Klein du judo au monochrome


DARDACHA-15-Yves Klein du judo au monochrome
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CHAT ENTRE LE PERSONNAGE BOUZGHIBA ET SON GENITEUR
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Bouzghiba: Comment un judoka peut-il devenir artiste. Est–ce en exhibant ses "Dan" ou ses dons?
Razak: Les deux à la fois, si on a la chance d’être né comme Yves Klein.
Bouzghiba: Qui était cet artiste sportif ?
Razak: Yves Klein eut une carrière artistique relativement courte, par rapport à celle de Monet ou de Manet, mais l’influence que son œuvre a eue sur l’art moderne, parait aussi déterminante que celles des deux peintres précités. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes non européens se réclament de la lignée Klein ou vont dans son sillage. Avec lui, on assiste à une nouvelle fonction de l’artiste: le créateur se confond avec son médium et propose comme «œuvre" des services et des actes «in-collectionnables». Yves Klein fait du bleu outremer une couleur totémique. La sagesse de la tradition mystique Zen lui aurait sans doute montré le chemin vers ce bleu radical inspiré de l’étendue céleste. Spiritualité et matérialité, ont été les deux pôles entre lesquels vacillait sa sensibilité créatrice."Mes tableaux ne sont que les cendres de mon art" disait-il non sans sophisme. Mais comment un judoka (ceinture noire, quatrième dan) me direz-vous a-t-il pu se convertir en artiste et introduire les pulsations musicales dans son art comme prémisse à l’Art Total?
Bouzghiba: Comment, je vous le demande, éclairez-moi, je meure d’envie de le savoir?
Razak: Relax. J’essaie toujours d’être le plus didactique possible avec vous. Comme d’habitude pour faire le topo je commence par une bio express:Yves Klein est né en 1928 à Nice. Son père, Fred Klein, hollandais d'origine indonésienne, est un paysagiste. Sa mère, Marie Raymond, originaire des Alpes-Maritimes, a fait de la peinture informelle. En 1947, y eut lieu la rencontre entre Yves Klein, Claude Pascal (un poète) et Armand Fernandez (un peintre) dans une école de judo à Nice. Devenus amis inséparables, ils voyagent ensemble et admiraient tous trois ce que faisait Van Gogh. Sur la plage de Nice, les trois amis se délectaient picturalement et Klein semblait déjà magnétisé par l‘infiniment bleu:«Alors que j'étais encore un adolescent, en 1946, racontait-il, j'allais signer mon nom de l'autre côté du ciel durant un fantastique voyage "réalistico-imaginaire". Ce jour-là, alors que j'étais étendu sur la plage de Nice, je me mis à éprouver de la haine pour les oiseaux qui volaient de-ci, de-là, dans mon beau ciel bleu sans nuage, parce qu'ils essayaient de faire des trous dans la plus belle et la plus grande de mes œuvres.»Parmi les livres qui ont marqué l’esprit du jeune peintre, il y a La Cosmogonie des Rose-Croix de Max Heindel, qui devient son livre de chevet et ce durant plusieurs années. Vers la fin de 1949, Yves Klein va à Londres, il travaille chez l'encadreur et doreur Robert Savage qui lui apprend un tas de techniques dont la dorure à la feuille d'or. En 1950, les jeunes créateurs baptisèrent leur groupe Triangle. Mais on n’enregistra de ce trio que la volonté farouche de se démarquer. Les grandes choses viendront après.En 1952, Klein voyage au Japon pour parfaire sa culture sportive, spécialité judo. Il passe au pays du soleil levant plusieurs mois. Durant ce séjour, il prépare un livre didactique sur le judo et revient au pays natal avec un 4eme dan. Après Les Fondements du Judo, qu’il publie aux Editions Grasset, deux recueils de monochromes portant sa griffe: «Yves Peintures» et «Haguenault Peintures» seront édités par un atelier espagnol de gravure. En 1955, il eut beaucoup de dépit après que le jury du Salon des Réalités Nouvelles lui a refusé un monochrome orange. Quand il organisa sa première exposition au Club des Solitaires, dans les salons privés des Editions Lacoste. Yves proposa des monochromes de différentes couleurs. Mais la réflexion livrée au public méritait d’être analysée en profondeur, car on y trouve les singes avant-coureurs d’une démarcation d’envergure:«Il y a des nuances douces, méchantes, violentes, majestueuses, vulgaires, calmes, etc. En somme, chaque nuance de chaque couleur est bien une "présence", un être vivant, une force active qui naît et qui meurt après avoir vécu une sorte de drame de la vie des couleurs.»Pierre Restany un critique d’art français qui a grandi à Casablanca, et qui a visité beaucoup d’expositions dans l’espoir de découvrir des talents prometteurs, rencontre Yves Klein au Club des Solitaires. C’est à partir de ce moment que tout a pris de l’ampleur que ce soit pour Klein ou pour Restany.L’intérêt pour la musique bien que tardif lui ouvre des perspectives nouvelles. Quand, par la suite, Klein eut comme collaborateurs de création des instrumentistes, il a cherché à coller à son œuvre une sémantique «sonore» d’essence immatérielle. Les premières «anthropométries» sont nées de cette façon. Il fit une similitude entre le son monocorde et le ton monochrome. Mais en réalité ni l’un, ni l’autre, n’est totalement «mono» car l’homogénéité pigmentaire n’est pas aussi parfaite qu’on le croit. L’addition des résines synthétiques augmente l’adhérence mais rend pâteux l’enduit. Même avec des aquarelles bien dosées, de tels équilibres chromatiques restent aléatoires. Ce qui mérite d’être souligné, à ce sujet, c’est la quête spirituelle dans la matérialité minérale ou synthétique de la couleur. D’ailleurs la psalmodie Zen qu’il aurait entendue dans les monastères bouddhistes n’est-elle pas une suite de sons monocordes? Pour le pratiquant, cette psalmodie est avant tout destinée à fixer l'esprit vagabond et favoriser la concentration. C’est dans les ultimes purifications que l’on peut percevoir le début de Nirvana. Klein aspirait à un nirvana chromatique. Quand il a su que c’était impossible, il s’était mis à faire des œuvres suicidaires, comme le saut dans le vide ou l’usage du lance-flamme à la place pinceau.
Bouzghiba: Lance-flamme, Yves avait de la chance. S’il était dans un pays arabe les sapeurs pompiers l’auraient appréhendé au premier essai pyro-maniaque?
Razak: Toute cette activité bizarroïde trouva le réceptacle idoine en la personne de Pierre Restany. En effet, c’est chez Klein que les membres du groupe des Nouveaux Réalistes ont signé le 27 octobre 1960 la déclaration constitutive de leur mouvement artistique avec la complicité de Pierre Restany. César le célèbre «compresseur» de voitures usagées fit son apparition une année après. Malheureusement, le groupe se dissout en novembre 1970. La plus dadaïste des idées d’Yves Klein reste celle qu’il a donnée en partage en 1959. Il imagina vendre du «vent» à des amateurs, c’est à dire l’air de Paris contre 150 grammes d’or fin qu’il jetait à la Seine.Yves Klein est un des rares peintres à avoir breveté une teinte concoctée avec ses propres mains. An effet, aidé par un chimiste, il découvre un bleu qu’il a fait breveter en 1957 sous le nom de l’IKB (International Klein Blue). Ainsi la rhapsodie du bleu est née. Yves Klein anima la période de l'après-guerre en remettant en question beaucoup d'idées reçues. Ses happenings les plus populaires restent "L'exposition du vide", et les "Anthropométries" qui sont des estompages d’un autre genre: des empreintes ventrales de femmes nues sur des toiles blanches. Le Body-Art dont il est le précurseur ne peut se passer de collaborateurs de création (musiciens et femmes). La musique monocorde sert d’ingrédient d’ambiance spirituelle. Chez Klein, même la couleur a une vie et une mort. N’est–ce pas là les signes latents d’un bouddhiste? Il serait devenu herboriste s’il n’avait pas été judoka-peintre. L'art conceptuel, et le minimalisme lui doivent beaucoup de choses. Malheureusement certains suivistes ayant mal assimilé sa philosophie ont déformé son concept en y’ mettant n’importe quoi, pourvu que cela rapporte de l’argent. Il faut savoir faire la nuance entre art contemporain et l’art «con»-«temporain» assimilé à l’art des farces et attrape-nigauds. Klein est devenu une légende, ses œuvres sont très convoitées par les collectionneurs. Il aurait réalisé de belles choses s'il n'avait pas été emporté, précocement, par une maladie cardiaque le 6 juin 1962. Pierre Restany l’homme à la barbe blanche qui a suivi de plus prés son itinéraire s’éteint lui aussi à l’âge de 72 ans par un arrêt cardiaque.
Bouzghiba: Les farceurs de l’art ont poussé le readymade aux confins du ridicule. Des chats aux pieds enduits de peinture qui piétinent des toiles blanches, un âne qui peint avec sa queue, c’est aussi du body art n’est-ce pas?
Razak: C’est le body art des bêtes. Yves Klein était seigneurial dans sa manière de magnifier le corps humain. La femme-pinceau a plus de grâce qu’un quadrupède qui ne sait pas ce qu’il fait.

1 commentaire:

Bertrand a dit…

je me suis permis de piquer un passage de votre très bon texte, pour l'envoyer justement à un "artiste" ayant reproduit la très fameuse image sur laquelle, on peut voir l'artiste Yves Klein, sauter d'une fenêtre, sans aucune mention expliquant, ou signalant simplement, les origines de son visuel, que se soit au recto ou au verso de son carton d'invitation.
Bertrand Lardé.