lundi 27 février 2012

Les Baltagiés de l’art

Les Baltagiés de l’art

Que ferez-vous si celui que vous croyez être un vrai ami se révèle en réalité un misérable indic de la vile espèce, qui vous espionne comme si vous étiez un subversif voulant renverser le régime. Quand les indics incultes passent de la parole aux actes physiques ils deviennent des Baltagiés, c’est à dire des voyous qui terrorisent le peuple. Le plus notoire d’entre tous vient d’exhiber (dans l’impunité juridique) une hache sur Youtube. D’autres espèces plus nocives ont trouvé refuge dans l’art. Appelons-les Baltagiés de l’art pour simplifier la compréhension. Ces derniers sont les plus facétieux, car il faut un minimum d’art de déguisement pour assurer le bon camouflage. Ce sont des intrus dangereux. Ils ne connaissent rien en art pictural, mais ils agissent comme s’ils étaient des experts assermentés. Pour ces ignares contagieux le fauvisme serait l’antre des fauves et le maniérisme en peinture serait une manie et non un art du répertoire ayant ses propres attributs historiographiques. Ils vous montrent une face rieuse et vous cachent les crocs de prédateurs. Par ailleurs ils se connaissent entre eux et se relaient dans l’unique but de piéger les artistes intègres, ou le cas échéant, de leur extorquer de l’argent indignement et indûment. Quand malencontreusement l’un est dévoilé un autre de plus incorrigible prend la relève. Ainsi, s’il y a des villes qui enfantent des braves et les valeureux, il y’a des villes qui enfantent les indics et les mouchards. On ne peut rien y changer. Ce jeu macabre et absurde du chat et de la souris est depuis l’époque coloniale, ainsi fait. Pour faire diversion, il faut que ces Baltagiés montrent une certaine émulation entre eux. Les intellectuels éveillés et les journalistes incorruptibles savent qu’ils sont épiés et espionnés constamment par ces professionnels de la délation (non reconnus officiellement puisqu’ils travaillent dans le noir et l’informel). Ils bénéficient d’une impunité qui les rend plus dédaigneux, féroces et incorrigibles. Ceux qui ont un petit boulot de formateur dans une institution publique (comme l’enseignement ou la radiotélévision…) jouissent d’une certaine diligence. On ferme l’oeil sur leur taux élevé d’absentéisme, puisque l’agent enrôlé secrètement est au «front» au lieu d’être dans sa classe ou dans son studio de production audiovisuelle. Ils ne viennent à l’institution qui les emploie que pour toucher le cheque mensuel. Par ailleurs, on ne compte plus les victimes tombées dans les pièges de ces sbires. Les Années de Plomb avaient plombé les ailes des créateurs insoumis qui ne veulent pas penser bête. Là où vous mettiez les pieds une horde d’informateurs et une meute d’indics manipulés par des invisibles vous provoquaient et vous harcelaient. L’on avait le sentiment de vivre dans une vaste prison à ciel ouvert et que l’on risquait à tout moment d’être agressé par ces forçats déchaînés qui n’avaient de respect ni pour l’institution qui les employait, ni pour leur personne.
Certes, l’on note aujourd’hui un certain allégement mais on sent vivre à l’étroit et qu’on est toujours sous haute surveillance et puis que nos faits et gestes sont comptés. Le style a peut-être changé, mais l’élan oppressif semble toujours de mise. Les rafles sont devenues moins fréquentes qu’autrefois mais l’oeil et le réflexe policiers sont toujours omniprésents. Ces Baltagiés de l’art, délateurs impénitents, sont guidés plus par leur soif de vengeance que par les deux misérables sous qu’on leur jette comme un pourboire de café. Etant des ratés notoires, ils cherchent à diluer leur poisse dans la vasque de ceux qui réussissent. On les voit mal vêtus et mal rasés comme des gueux vivant d’expédients ou de rognons comme des laissés pour compte. Quand l’Aïd du Mouton arrive ils deviennent d’une mesquinerie qui brise le cœur. Ils sont prêts à commettre des actes ignominieux pour avoir l’ovidé qui fait «Baâ».
Si les gens honorables vomissent quand ils entendent le mot délation, ces professionnels de Tachekamt en font un exutoire psychique. Pour les aider à arrondir leurs fins de mois on les laisse trafiquer un petit peu. Comme la plupart n’a pas de diplôme ils se mêlent aux autres courtiers et font de la Semsara un gagne-pain. Ces individus spéciaux qui surveillent de plus près les peintres au point de leur pomper l’air ont besoin d’être surveillés à leur tour car les infractions commises par certains d’entre eux (trafic de tableaux volés ou plagiés…) sont parfois plus graves que celles que l’on veut prévenir ou circonscrire de manière anticipée. A quand une société sans délateurs et sans Baltagiés?
RAZAK

mercredi 22 février 2012

L'église Sacré-Cœur du théologique au plastique

L'église Sacré-Cœur du théologique au plastique

L’église Sacré-Cœur de Casablanca est sans conteste un monument architectural qui a sa propre histoire. C'est l'architecte français Paul Tournon (1881-1964) qui a dessiné son plan d'architecture. Elle est aussi belle de l'intérieur que de l'extérieur et dotée de deux tourelles jumelles, elle se trouve au milieu de la verdure. En tant que vestige historique, elle a été classée Bâtisse Patrimoniale en 2003. Quand on pénètre à l'intérieur de cette grande cathédrale le regard du visiteur est attiré par les couleurs tamisées du vitrail que les irisations lumineuses ont rendu de plus en plus beau. L'espace intérieur, libre de tout cloisonnement en maçonnerie, répond aux principes formulés par Le Corbusier. De son vivant, Paul Tournon n'avait jamais imaginé que ce lieu de culte serait un jour transformé en un souk des arts plastiques (plats-steaks diraient les malins). On aurait souhaité que les manifestations abritées par cette bâtisse historique soient à but non lucratif ou dédiées aux œuvres de charité. L'Evêché a fait œuvre utile en mettant cette église à la disposition de la municipalité de Casablanca, mais certaines restrictions éthiques devraient être énoncées de manière préambulaire, pour éviter les dérapages, le plus souvent engendrés par la cupidité mercantile. Peut-on organiser une foire commerciale au sein d'une mosquée ancienne comme la Koutoubia par exemple? Ce serait de l'hérésie. C'est une véritable aubaine que d'avoir une telle opportunité, mais de grâce, évitons les amalgames désagréables et les excroissances hybrides. Certes, à Casablanca on manque d'espaces et d'estrades spacieuses de démonstration non seulement pour les arts plastiques, mais aussi pour les autres arts. Cependant, on regrette son exploitation par des gens dont l’unique but est de gagner de l’argent. Comme dans n’importe quel souk chacun des participants doit payer du «Sank» pour son soi-disant stand. On parle de milliers de dirhams pour chaque portion et l’on se demande si les ventes des choses exposées ont rentabilisé la mise. Une telle initiative privée organisée au sein d'un lieu de culte est d'une embarrassante incongruité. C'est du "Habous" version chrétienne. On ne devrait ni en transfigurer, ni défigurer l'essence, si on était réellement pour le respect mutuel, le dialogue spirituel entre les trois religions abrahamiques.

RAZAK

vendredi 10 février 2012

Gil Vicente dans le journal l'Opinion



Gil Vicente le justicier des arts plastiques
Ils étaient neuf leaders mondiaux à être fusillés virtuellement par Gil Vicente, un artiste brésilien qui, ayant apparemment marre de dessiner n’importe quoi et pour n’importe qui, veut passer aux choses sérieuses. Il s’auto portraiture entrain de flinguer, à bout portant ou d’égorger avec un couteau acéré des personnalités influentes du monde politique et religieux. Neuf en tout. Il en est le dénominateur commun. Un acte prémédité et ce n’est pas l’alibi qui manque. Il est aussi net que l’épaisseur du trait.
Dans cette tuerie picturale (je dirais graphique pour être précis) la véritable arme du crime n’est pas le pistolet ou le couteau que le peintre tient dans sa main, mais le fusain ou la mine de charbon avec laquelle il peaufine les silhouettes. Dans son atelier (je présume qu’il en a un de plus vaste, d’après les dimensions de ses toiles) ce justicier des arts plastiques, qui n’a rien d’un illuminé théologisé à outrance, se plait à torturer picturalement ses victimes, pour ce qu’ils ont fait. Il ne sait pas qu’en procédant de la sorte, il les immortalise, à son insu. Gil Vicente ne fait pas de la caricature. Les dimensions anatomiques ont été respectées, comme un bon élève de De Vinci, pour donner, en fin d’exercice, une allure réaliste. Il n’y a pas de satire. Sans doute le dessinateur voulait-il éviter la voie qu’avait prise l’aventurier danois. Gil voulait prendre sa revanche sur ces dirigeants dont certains, il est vrai, se sont avérés de véritables criminels de guerre, puisqu’ils ont causé beaucoup de tort à la race humaine. Du coup, le peintre pacifique qui ne pouvait pas faire de mal même à une mouche devient un serial killer d’un genre nouveau. Et rassurez-vous, il n’est, ni un fou, ni un givré. Il est conscient de l’acte artistique qu’il a commis. La preuve, il a choisi ses victimes scrupuleusement: sept présidents, un pape et un ex-secrétaire de l’ONU. Ce choix n’est pas fortuit. Il a oublié le grand espiègle qui a affolé les barbouzes américains et les agents futés de la Scotland Yard. Il a oublié les gros banquiers qui dictent et imposent au tiers-monde leurs desiderata. Leur réserverait-il un sort pictural bien plus retentissant? Cet assassinat pictural commis par un artiste obnubilé par les dérapages du monde politique est le premier du genre.
La Biennale de Sao Paulo en expose les preuves, non pas par dénonciation ou par complicité, mais par désir de montrer aux brésiliens, de quoi un de leurs compatriotes est capable. Dans cette tuerie propre où il n’y a ni effusion de sang, ni cadavres à autopsier,
Gil Vicente veut se venger de ceux qui, placés au faîte de l’hiérarchie administrative, commettent dans l’impunité, de graves erreurs en portant préjudice à autrui. Le châtiment qu’il leur réserve est purement plastique et homothétiquement dosé selon chaque cas. Sharon, le plus notoire entre tous, est traîné par terre. Dans de tels traitements, on pourrait dire que l’artiste qui voulait châtier les politiques arrogants était généreux et magnanime.
La biennale de Sao Paulo est, depuis le jour inaugural, sur le devant de la scène artistique et politique. Les œuvres graphiques de cet artiste en colère ont atteint le but visé, à savoir: créer la polémique, pour faire écouler la marchandise.
Depuis "L’Urinoir" de Marcel Duchamp, on n’a pas vu d’aussi résigné et provocateur comme acte prémédité. Et comme à l’accoutumée, ce sont les prétendus puristes qui, faisant montre d’un puritanisme douteux, réagissent les premiers. Quitte à endosser le burnous de l’iconoclaste endurci qui a peur d’un dessin et de l’art en général. Ils exigent le retrait immédiat des cimaises, cette collection de tableaux, arguant qu’elle fait l’apologie du crime. Si c’est ainsi, il faudra incriminer et inculper tout Hollywood et ses cupides spéculateurs. Gil a intelligemment calculé son coup. Il sait que plus on en parle, plus sa cote artistique va crescendo. Reste à savoir qui va acheter ces neufs tableaux réalisés entre 2005 et 2006, sous le thème "Ennemis" et qui ont la particularité de se vendre sous forme d’un "tri-triptyque", c’est à dire un tout constitué de neuf pièces, et cela à la bagatelle somme de 260 000 dollars.
Maintenant que l’affaire est saisie par les médias les plus influents du monde et que Gil Vicente est devenu un héros, il serait drôlement intéressant que l’un des individus, "flingués" picturalement par lui, procède à l’achat de cette collection dont les images ont fait le tour du monde. L’heureux acheteur se verrait diminuer un peu de ses péchés, comme après un profond repentir. L’actant politique, haï par la multitude, va accéder directement à l’histoire universelle de l’art moderne, grâce aux tableaux d’un artiste qui rêve de devenir un tueur. Paradoxalement, ces tableaux serviraient de passerelle. Ainsi, l’effaceur enragé deviendrait un passeur consentant, malgré lui. L’ennemi serait ami, en fin de compte. Là, tout le paradoxe.
RAZAK
(Tome-2 de la monographie Bouzghiba-Awards)