mercredi 26 août 2009

Le Non-Art qui propulse l'Art

Autrefois, le Non-Art était marginalisé par le mécénat parce que cette forme d'expression difficile à conceptualiser dérangeait les moeurs aristocratiques de l'époque. Il représentait dans sa marginalité iconique une incongruité pesante par rapport à l'art conventionnel déjà fortifié par les acquis de la Renaissance. L'aristocratie y voyait une conspiration contre l'ordre esthétique établi. Cet art "sans école" visait les tabous et comme le temps avait joué en sa faveur, on assista à une spectaculaire métamorphose où le "discrédité" prenait sa revanche sur le "crédité". Les oeuvres autrefois refusées et bannies redeviennent si prisées comme si, dé-diabolisées par on ne sait quel exorciste, elles retrouvaient une vertueuse vertu et une sereine sérénité.
Dans ce court flash-back on évoquerait les deux principaux protagonistes, représentants authentiques et radicaux de cette mouvance qui faisait de la provocation une arme de séduction: Jean Isidore Grandville et Marcel Duchamp. Le premier artiste, dessinateur confirmé, naquit au début du 19ème siècle (1803) et mourut à l'asile des aliénés de Vanves en 1847. Il a imaginé un dessin dont l'étrangeté a étonné Charles Baudelaire, poète converti à la critique d'art par affinité. Dans ce dessin on trouve une étrange créature assise sur un tabouret muni d'un seul pied pointu et ciselant à l'aide du burin et d'un marteau une sculpture représentant un pouce surdimensionné. Après quelques décennies un sculpteur de renommée internationale nommé César revient au "pouce Grandvillien". Il façonna un pouce monumental comme pour satisfaire le rêve inachevé de son confrère aîné et du coup , Grandville se retrouve réhabilité comme avait fait Sigmund Freud pour le marquis de Sade. Grandville le dessinateur incompris, Grandville le Lautréamont des arts graphiques n'est plus ce farfelu qui dessine des banalités. Il a des dons de visionnaire. Après sa mort beaucoup d'artistes notamment de l'école surréaliste sont allés dans son sillage.
Quand à Marcel Duchamp, il vécut sa singularité sans concession et avec autant de conviction que de certitude. Lui aussi passait pour un frivole du bricolage artistique. Mais l'histoire a démenti toutes les supputations faites à son égard. Il avait l'opiniâtreté d'un Galilée au cœur du purgatoire d'ici-bas. Il n'était pas du genre fragilisé pour le déstabiliser. Un de ses ready-made les plus étonnants et les plus célèbres fut l'urinoir renversé qu'il avait baptisé "Fontaine". On cria au scandale quand cette pièce fut montrée pour la première fois au public. Elle excita l'ire des adeptes de l'art aseptisé. Par dégoût et répulsion, quelqu'un nommé Pinoncely urina dessus avant de la briser à coup de marteau. On la ressouda, mais c'est à partir de cet incident que ce sanitaire reconverti en oeuvre d'art avait acquis une autre dimension. On l'avait introduit au musée de l'art moderne non pas pour remplacer un autre à la salle d'hygiène mais en tant que rareté. Cet artiste qui aimait répéter à qui veut l'entendre "prier de toucher" était aussi doué que Grandville. Son apport n'est pas négligeable. Grâce à lui, les objets familiers peuvent devenir oeuvres d'art, il suffit d'en trouver le génial déclic. Ainsi la célèbre "Tête de taureau", un ready-made de Picasso, constitué par l'assemblage d'une selle de bicyclette et d'un guidon aurait un lien de parenté avec la fameuse bicyclette de Marcel Duchamp. Ce dernier était aussi un bon peintre. Son tableau intitulé "Nu descendant l'escalier" avait donné une autre version stroboscopique de l'art cinétique. Est-ce un hasard si avec le surréalisme en pleine hégémonie culturelle on avait adopté ce créateur inclassable?
André Breton qui est le véritable dynamo de ce mouvement culturel avait dit de Marcel Duchamp: "l'homme le plus intelligent de sa génération et pour beaucoup le plus gênant.
Ainsi va l'art de doute en doute et de démystification en démystification.

RAZAK

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